«L’esprit de la prophétie »
Le fait que l’expression «le témoignage de Jésus» soit à la forme subjective est confirmé par le texte d’Apocalypse 10.10 où elle est associée à «l’esprit de la prophétie» (hē gar marturia Iēsou estin to pneuma tēs prophēteias). Deux questions se posent ici. Premièrement, quel est le sens de l’expression «l’esprit de la prophétie» ? Deuxièmement, pourquoi «le témoignage de Jésus» est-il l’équivalent de «l’esprit de la prophétie» ?DDP 228.2
La difficulté majeure concernant l’expression «l’esprit de la prophétie» réside dans le fait qu’on ne la trouve que dans ce texte d’Apocalypse 19.10 et nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament. D’autre part, Jean ne l’explique à aucun moment dans son livre. La raison évidente est que les lecteurs du Ier siècle la connaissaient certainement et n’avaient donc pas de difficulté à saisir ce que Jean voulait dire.DDP 228.3
Il semble que l’expression «le témoignage de Jésus» ait été formulée par Jean, mais en réalité, des sources juives indiquent que l’expression «l’esprit de la prophétie» était couramment employée par le peuple juif à l’époque de la rédaction de l’Apocalypse. Elle faisait alors exclusivement référence au ministère prophétique. L’encyclopédie Jewish Encyclopedia explique que vers la fin de la période du second temple, «le Saint-Esprit était parfois identifié à l’esprit de la prophétie». Cette équivalence est manifeste tout d’abord grâce à la fréquence d’utilisation de cette expression dans les Targoums - les traductions paraphrastiques araméennes de l’Ancien Testament utilisées dans les synagogues. Voici quelques exemples :DDP 228.4
Targoum Onkelos de Genèse 41.38 : «Ainsi le Pharaon dit à ses serviteurs : Pouvons-nous trouver un homme comme celui-ci qui soit rempli de l’esprit de la prophétie devant le Seigneur ?» (voir aussi Targoum de Jonathan de Genèse 41.38)DDP 229.1
Targoum de Jonathan d’Exode 35.31 [concernant Betsalel] : «... et rempli de l’esprit de la prophétie devant l’Éternel, en sagesse, en intelligence, en connaissance et en tout genre de savoir-faire. »DDP 229.2
Targoum de Jonathan de Nombres 11.25-29 : «... sur chacun des soixante- dix anciens ; et l’esprit de la prophétie se posa sur eux, alors ils commencèrent à prophétiser sans cesse. Or, deux de ces hommes étaient restés au camp. [...] L’esprit de la prophétie se posa sur eux, car ils étaient parmi les anciens, mais ils étaient sortis de la tente et ils prophétisaient dans le camp. [...] Moïse lui dit : Es-tu jaloux pour moi ? Non, je voudrais que tout le peuple du Seigneur soit des prophètes, parce que le Seigneur mettrait l’esprit de sa prophétie en eux.» (voir aussi Targoum de Jonathan de Nombres 11.25-29)DDP 229.3
Targoum Onkelos de Nombres 27.18 : «Le Seigneur dit à Moïse : Prends Josué le fils de Noun, un homme en qui il y a l’esprit de la prophétie, et mets ta main sur lui.»DDP 229.4
Targoum de 2 Chroniques 15.1 : «L’esprit de la prophétie vint sur Azaria, le fils d’Obed. »DDP 229.5
Targoum d’Ésaïe 61.1 : «L’esprit de la prophétie du Seigneur est sur moi.» (Voir le Targoum d’Ézéchiel 11.5 et 41.38) DDP 229.6
Targoum de Michée 3.7,8 : «Les faux prophètes seront honteux, [...] car l’esprit de la prophétie du Seigneur n’est pas en eux. Moi, par contre, je suis devenu plein de force, avec l’esprit de la prophétie du Seigneur. »DDP 229.7
Ce ne sont que quelques exemples représentatifs ; on pourrait citer bien d’autres textes. Ils montrent tous que l’expression «esprit de la prophétie» était souvent utilisée dans les synagogues avant et après que Jean ne fasse référence à «l’Esprit de Yahweh venant sur tel ou tel prophète». Puisqu’on considérait que tous les prophètes parlaient en étant animés du Saint-Esprit, «le signe le plus caractéristique de la présence du Saint-Esprit était le don de la prophétie, dans le sens où la personne sur laquelle il reposait connaissait le passé et l’avenir».DDP 230.1
Plus tard, les rabbins allèrent aussi dans ce sens. L’encyclopédie The Universal Jewish Encyclopedia explique : «Dans la littérature rabbinique, Ruach Hakodesh [le Saint-Esprit] est quasiment toujours celui qui inspire. Il est mentionné que l’Esprit est l’auteur de certains passages de la Bible, comme Cantique des cantiques 8.5, ou de passages dans lesquels il est dit que Dieu lui-même parle.» D’après les écrits rabbiniques, les rabbins croyaient que certains passages bibliques étaient «souvent considérés comme venant directement du Saint-Esprit».DDP 230.2
Bien qu’écrites après la période de rédaction du Nouveau Testament, on considère généralement que ces sources reflètent une tradition antérieure, essentiellement datant du Ier siècle. Elles montrent que pour les lecteurs du Ier siècle du livre de l’Apocalypse, l’expression «l’esprit de la prophétie» faisait référence au Saint-Esprit qui inspire et donne aux prophètes la capacité de formuler le message qui leur est révélé et confié par Dieu. Ce concept est aussi attesté dans le Nouveau Testament (voir Luc 2.25-32 ; 2 Pierre 1.21).DDP 230.3
Une question se pose donc : L’expression «l’esprit de la prophétie» fait- elle référence au Saint-Esprit dont tous les chrétiens sont remplis pour pouvoir témoigner au monde, ou fait-elle référence à un don spécifique du Saint-Esprit qui distingue certaines personnes de l’Église du reste des croyants ?DDP 231.1
Les sources juives citées précédemment montrent que l’expression «l’esprit de la prophétie» faisait référence au Saint-Esprit qui parlait par l’intermédiaire de certaines personnes appelées prophètes, plutôt qu’à tout le corps des croyants dans leur rôle prophétique. Cette notion est confirmée par le texte d’Apocalypse 22.8,9, qui complète manifestement celui d’Apocalypse 19.10 . Dans ces deux passages, Jean tombe aux pieds de l’ange pour l’adorer ; et dans ces deux passages, l’ange lui demande de ne pas le faire. Cependant, dans Apocalypse 22.9, l’ange explique que les frères d’Apocalypse 19.10 sont les prophètes. Hermann Strathmann souligne à juste titre :DDP 231.2
«D’après le texte parallèle d’Apocalypse 22.9, les frères qui sont mentionnés ne sont pas les croyants en général, mais les prophètes. [...] C’est ce que dit le verset 10c. S’ils ont marturia Iēsou, ils ont l’esprit de la prophétie ; autrement dit, ce sont des prophètes [...] comme l’ange qui est tout simplement au service de marturia Iēsou (voir 1.1) . »DDP 231.3
L’idée que le Saint-Esprit accorde le don de prophétie aux prophètes est confirmée par le texte d’Apocalypse 22.6 : Ces paroles sont certaines et vraies ; le Seigneur, le Dieu des esprits des prophètes, a envoyé son ange pour montrer à ses esclaves ce qui doit arriver bientôt. Le fait que l’ange déclare : Je ne suis que ton compagnon d’esclavage et celui de tes frères, les prophètes est particulièrement significatif, car dans l’Ancien Testament, les prophètes étaient les serviteurs de Yahweh (voir Amos 3.7).DDP 231.4
L’équivalence entre «le témoignage de Jésus» et «l’esprit de la prophétie» montre aussi que «le témoignage de Jésus» ne fait pas référence au témoignage historique de Jésus alors qu’il était homme, comme ont voulu le montrer certains théologiens , mais au témoignage postérieur à sa résurrection, accessible grâce au don de prophétie, dans le but de montrer «ce qui doit arriver bientôt» (Apocalypse 1.1). James Moffatt déclare :DDP 231.5
««Le témoignage de (ou porté par) Jésus est (ou constitue) l’esprit de la prophétie.» Cette observation désigne spécifiquement les frères qui portent le témoignage de Jésus comme étant les possesseurs de l’inspiration prophétique. Le témoignage de Jésus signifie que Jésus témoigne (22.20). C’est l’autorévélation de Jésus qui inspire les prophètes chrétiens .»DDP 232.1
Cette affirmation est confirmée par l’introduction du livre de l’Apocalypse (Apocalypse 1.1-3) qui décrit la chaîne de transmission de la révélation de Dieu à l’Église en un processus comportant trois phases. Le prologue nous dit que la révélation divine débute avec Dieu. Jésus communique sa révélation au prophète (Jean, dans ce cas précis) par l’intermédiaire de son ange dans une vision. Jean porte témoignage des choses qu’il a vues en vision, qu’il décrit comme étant la parole de Dieu et le témoignage de Jésus-Christ (verset 2). Puis il transmet ces choses à l’Église, à savoir les paroles de la prophétie (verset 3).DDP 232.2
Dans le livre de l’Apocalypse, l’expression «le témoignage de Jésus» est mis en relation avec «la parole de Dieu» (versets 2, 9; 20.4). L’expression «la parole de Dieu» (ho logos tou theou) dans l’Ancien Testament grec (la Septante) fait régulièrement référence à la vision prophétique (voir Osée 1.1; Joël 1.1; Michée 1.1; Aggée 1.1; Zacharie 1.7). Ainsi, en utilisant l’expression «parole de Dieu» pour parler du contenu de l’Apocalypse, Jean montre que ce qu’il écrit provient de Dieu, tout comme les messages adressés aux prophètes de l’Ancien Testament.DDP 232.3
Ainsi, nous constatons que le texte d’Apocalypse 1.1-3 montre que Jésus communique «la parole de Dieu» aux prophètes en vision et qu’il s’agit de son propre témoignage, autrement dit «le témoignage de Jésus-Christ». Ce concept est souligné dans Hébreux 1.1 qui déclare que, dans le passé, Dieu parlait par les prophètes et que désormais, il parle par l’intermédiaire de son Fils. G. B. Caird déclare : «C’est la parole venant de Dieu et attestée par Jésus que l’Esprit prend et place dans la bouche des prophètes chrétiens . »DDP 232.4
Le prologue de l’Apocalypse semble donc être la clef permettant de comprendre cette déclaration, «le témoignage de Jésus est l’esprit de la prophétie». Il indique que «le témoignage de Jésus» est «la parole de Dieu» transmise par le Christ ; il s’agit de son témoignage adressé à l’Église grâce à «l’esprit de la prophétie ». Cette expression s’explique par le fait que c’est l’Esprit qui inspire et place dans la bouche des prophètes les paroles du Christ, leur permettant de communiquer la parole prophétique au peuple de Dieu sur la terre (2 Pierre 1.20,21). Quand le prophète transmet «le témoignage de Jésus- Christ» à l’Église, celle-ci le reçoit comme étant «les paroles de la prophétie» (Apocalypse 1.3). Cela souligne également le fait que «le témoignage de Jésus» est la révélation de Jésus par lui-même, pour son Église et rendue possible grâce au don de prophétie.DDP 232.5