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Don De Prophétie: Une Réflexion Biblique Et Historique - Contents
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    Voix prophétiques ? Les manifestations spirituelles au Moyen Âge

    Vers 1175, un moine bénédictin vivant à Gembloux, une ville flamande de Belgique, écrivit une lettre à un ami au sujet d’une abbesse qui avait des visions. Son témoignage nous permet de comprendre quelle était la perception du don de prophétie au Moyen Âge. Guibert de Gembloux fut si impressionné par le récit de ses expériences et de ses enseignements, qu’il parcourut environ 250 kilomètres pour se rendre à Bingen, en Allemagne, afin de rencontrer Hildegarde. Il la compara aux prophétesses Myriam, Déborah et Judith. «Elle a manifestement reçu des dons rares dont on n’a quasiment jamais entendu parler 816Guibert de Gembloux, Epistle 164, Analecta Sacra, ed. Jean-Baptiste Pitra (Monte Cassino, 1882), vol. 8, p. 576. Dans Barbara Newman, «Hildegard of Bingen : Visions and Validations », Church History 54 (1985), p. 163..» Pour Guibert, depuis la Vierge Marie, aucune femme n’avait reçu un don aussi grand de la part de Dieu. Selon lui, Dieu n’avait pas envoyé de prophète depuis plus de mille ans. Cela reflète la tendance dont nous avons parlé précédemment. Cependant, son témoignage montre aussi que certains chrétiens étaient ouverts à la possibilité d’une manifestation du don de prophétie à leur époque.DDP 258.2

    Hildegarde de Bingen (vers 1098-1179) n’était pas la seule à l’époque à affirmer avoir reçu des révélations de la part de Dieu et à être considérée comme une prophétesse par certains de ses contemporains. Elisabeth, une abbesse de Schonau, à une centaine de kilomètres de Bingen, avait des expériences similaires 817Newman, pp. 173-175. Pour en savoir plus sur l’expérience d’Elisabeth en relation avec Hildegard et un autre visionnaire, Robert de Deutz, voir Newman, pp. 173-175.. Barbara Newman, une spécialiste de la vie d’Hildegarde, cite un témoignage qui précède celui donné par Guibert :DDP 259.1

    «En 1158, l’auteur des Annales Palidenses trouva normal d’associer les deux nonnes visionnaires en déclarant ceci : «En ces jours, Dieu a révélé les signes de sa puissance par l’intermédiaire du sexe faible, à savoir ses deux servantes Hildegarde de Rupertsberg, près de Bingen, et Elisabeth de Schönau, qu’il a remplies de l’esprit de prophétie et à qui, par l’Évangile, il a révélé de nombreuses visions qui ont été relatées par écrit» 818Annales Palidenses (1158 av. J.-C.), Monumenta Germaniae Historica : Scriptores (Berlin, 1826), vol. 16, p. 90. Dans Newman, p. 173.. »DDP 259.2

    Cependant, cette déclaration ne fut pas facilement acceptée. Dans une lettre adressée par Elisabeth à Hildegarde, elle dit que son abbé douta de la fiabilité de ses dires au sujet de ses visions et qu’il lui recommanda de demander au soi-disant ange divin qui parlait avec elle s’il était bien divin. Il pensait qu’Elisabeth dialoguait peut-être avec un démon. Elle raconta ensuite que lors de son apparition suivante, l’ange détourna son visage de colère, demandant à l’abbé de se repentir de ses doutes. Manifestement, il se repentit, car il demanda de l’aide à Elisabeth, lui suggérant de prier pour lui 819Newman, pp. 174, 175. Demander son identité à un être surnaturel peut être difficile, car d’après l’Écriture, les démons trompent les êtres humains en leur disant qu’ils sont de Dieu (par exemple Saül et la nécromancienne d’Eïn-Dor dans 1 Samuel 28 ; Ézéchiel 13 ; Matthieu 4.1-11 ; 2 Corinthiens 11.13-15). Heureusement, l’abbé fut ouvert à l’idée qu’une révélation divine était possible, et manifestement, aucune raison ne fut avancée pour discréditer son origine divine..DDP 259.3

    Hildegarde rencontra aussi quelques difficultés avec ses supérieurs masculins. Son abbé lui parla un jour du corps d’un lapsi qui était enterré dans le cimetière du monastère. Il voulait en retirer le cadavre car c’était un apostat qui ne lui avait pas confessé ses péchés. Elle affronta son supérieur, lui disant que l’homme avait bien confessé ses péchés avant sa mort, assumant un rôle d’autorité comparable à celui d’un évêque. À une autre occasion, elle demanda à l’abbé Kuno de faire en sorte que les nonnes puissent avoir un monastère bien à elles, mais il ne le permit pas. Elle outrepassa ses ordres et réitéra sa demande auprès de l’archevêque de Mayence qui accéda à sa requête. Dans un monde dominé par les hommes, il n’était pas facile d’affirmer être une messagère divine. En dépit des difficultés auxquelles elles furent confrontées, ces deux femmes «sont l’exemple de la victoire classique de ce qui est d’ordre charismatique sur l’autorité institutionnelle 820Ibid., p. 175.». Newman conclut que cette attitude de résistance est un exemple rare de courage dans un monde dominé par la hiérarchie ecclésiastique masculine 821Comme le montre Newman, il n’est pas question ici d’une confrontation dont l’enjeu serait l’autorité d’un homme ou d’une femme. Hildegarde déclare que Dieu lui avait accordé un esprit viril, car aucun homme ne luttait pour la vérité à son époque, ce qui sous-entend que la révélation divine était de préférence accordée aux hommes. Pour Newman, le fait qu’elle soit une femme donne encore plus d’autorité à son appel (p. 174)..DDP 259.4

    La conviction qu’elle était appelée par Dieu poussa Hildegarde à aller plus loin encore. Elle dénonça les défauts de la hiérarchie. Comme Huss et Luther plus tard, elle accusa les prêtres d’être corrompus en raison de la simonie, à savoir le fait d’acheter et de vendre des offices religieux 822Rosemary Radford Ruether, Visionary Women : Three Medieval Mystics (Minneapolis : Fortress, 2002), pp. 28, 29.. Non seulement elle prêchait et dénonçait les péchés des responsables de l’Église, mais elle cherchait aussi à être guidée par Dieu. De nombreuses personnes la considéraient comme une voix divine à laquelle il fallait prêter attention. Au début, Hildegarde ne relata pas par écrit ses expériences spirituelles (ses visions). Même quand elle le fit, en réponse aux demandes de Guibert, elle prit la peine de préciser qu’elle ne vivait pas un ravissement extatique, mais qu’elle recevait une dose spéciale de la grâce divine 823 Newman, pp. 166, 167.. Ses écrits ne mettent pas l’accent sur les rencontres surnaturelles qu’elle affirmait avoir avec Dieu, mais ils présentent des textes bibliques. Newman souligne que, dans ses écrits, elle se contente de citer les Écritures et la voix de Dieu qu’elle entendait, car les opinions humaines étaient insignifiantes par rapport à la lumière qu’elle avait reçue 824Ibid, p. 170; Everett Ferguson, Church History : From Christ to the Pre-Reformation, Church History : The Rise and Growth of the Church in Its Cultural, Intellectual and Political Context (Grand Rapids : Zondervan, 2013), p. 457..DDP 260.1

    Elle avait vu cette lumière dès son enfance 825Ferguson dit qu’elle avait huit ans quand elle eut sa première vision (p. 457); Evelyn Underhill, The Mystics and the Church (Pennsylvania : Morehouse, 1925), p. 77, pense qu’elle avait trois ans.. Plus tard, elle fut placée dans un couvent où elle devint abbesse en 1136, alors qu’elle avait environ 39 ans. Elle continua à voir cette lumière divine. Au début, elle n’était pas capable de comprendre ni d’expliquer ses visions à d’autres. Elle n’en parla pas jusqu’en 1141, quand Dieu lui demanda de les relater par écrit. Elle hésita, devint malade, puis accepta l’appel de cette voix 826Newman, p. 167. Hiledegarde affirme aussi que du fait qu’elle était malade, Dieu put habiter en elle. Elle avait le sentiment de sa dépendance à son égard. Elle considérait que le fait d’être une femme et d’avoir des problèmes de santé était une occasion de montrer la puissance de Dieu (1 Corinthiens 2). C’est aussi ce que vécut Ellen White. Ellen G. White, Testimonies for the Church (Mountain View, Calif.: Pacific Press, 1948), vol. 1, pp. 9-13, 58-61, 71-74..DDP 260.2

    «Je voyais et j’entendais ces choses, mais je refusais de les relater par écrit en raison de mes doutes, de la crainte de la mauvaise opinion d’autrui et de la diversité des termes humains, autrement dit par humilité et non par entêtement, jusqu’au jour où je tombai malade à cause de Dieu. Alors, en raison de mes nombreuses maladies et du témoignage d’une jeune fille de bonne conduite [la nonne Richardis von Stade] ainsi que de celui d’un homme que j’avais secrètement sollicité, comme je l’ai mentionné ci-dessus [Volmar], je me décidai à écrire. Alors que j’étais en train de le faire, je pris conscience de la profondeur des écrits scripturaires, comme je l’ai déjà dit. Je me relevai alors de la maladie grâce à la force que je reçus, et je terminai ce travail - tout juste, du moins - en dix ans. [...] J’ai dit et écrit ces choses, non parce qu’elles ont été inventées par moi ou d’autres, mais parce que ce sont les mystères secrets que j’ai reçus de la part de Dieu. Et de nouveau, j’ai entendu une voix me dire : «Exprime-toi et écris !» 827Hildegarde von Bingen, Scivias, trans. Mother Columbia Hart and Jane Bishop (New York : Paulist Press, 1990), pp. 60, 61. Voir Ellen G. White, A Sketch of the Christian Experience and Views of Ellen G. White (Saragota Springs, N.Y : James White, 1851), pp. 58.»DDP 261.1

    Suite à ses rencontres avec Dieu, elle écrivit Scivias (Connaître [la voie de Dieu]), Liber Vitae Meritorum (Livre des mérites/ récompenses de la vie) et Divinorum Operum (Livre des œuvres divines). Ces livres présentent l’œuvre salvatrice de Dieu en faveur de l’homme ainsi que la création, la chute et les sacrements de l’Église. De plus, elle rédigea des livres sur la botanique, la médecine828Ses ouvrages médicaux n’ont pas de lien avec ses visions, mais sont basés sur son expérience en jardinage (les herbes) et l’attention qu’elle portait aux malades. D’après ses écrits, elle croyait que toutes choses étaient créées par Dieu (Genèse 1) pour être au bénéfice des êtres humains. Elle disait qu’un lien vital existait entre la nature et le corps humain. La santé devait être abordée de façon holistique. Elle s’appuyait notamment sur les quatre éléments des Grecs (la terre, le feu, l’air et l’eau) pour décrire la nature. et la poésie, et elle composa des œuvres musicales à des fins liturgiques. Dans son livre sur les récompenses de la vie, elle réfléchit à l’immoralité de son temps et à l’action du diable, et elle souligne l’importance de mener une vie pure basée sur les recommandations bibliques relatives à la sainteté. Elle écrivit également une pièce de théâtre sur le thème de la moralité, Ordo Virtutum (L’ordre des vertus).DDP 261.2

    Dans ses ouvrages, elle insiste sur la lumière de Dieu. Elle décrit même son expérience comme «le reflet de la lumière divine». Se basant essentiellement sur le récit de la création de la Genèse et de Jean 1, elle se fait l’écho du commentaire de saint Augustin sur la Genèse et de son emploi métaphorique des lumières du ciel éclairant la planète pour illustrer la vérité divine qui apporte la vie à l’âme humaine 829Newman développe cette idée de la lumière et son lien avec saint Augustin, pp. 167, 168.. Pour utiliser le langage biblique de la lumière divine et des ténèbres, elle pensait être un témoin de cette grande lumière. Dieu est aussi décrit comme ayant les attributs d’une femme qui donne la vie. Utilisant la description biblique de Dieu avec des termes féminins comme la sagesse (sapientia) et l’amour (caritas), elle mettait l’accent sur le caractère bienveillant et créateur de la lumière divine.DDP 262.1

    D’après ses écrits, nous pouvons dire qu’elle prédisait parfois l’avenir, qu’elle proclamait constamment Jésus, le Fils incarné de Dieu, qu’elle menait une vie pure, qu’elle dénonçait la corruption du clergé (ses fruits) conformément aux critères bibliques. En raison de tout cela, elle peut être considérée comme une prophétesse. Cependant, on ne peut être en accord total avec ce qu’elle écrivit, car certains de ses enseignements étaient en contradiction avec les enseignements bibliques. Le texte d’Ésaïe 8.20 concernant la cohérence avec les révélations précédentes prend ici tout son sens. Elle professait les doctrines chrétiennes essentielles et elle dénonçait la corruption du clergé, mais en tant que femme de son époque, elle était d’accord avec l’idée de la puissance mystique de l’eucharistie et de l’autorité divine de l’Église.DDP 262.2

    Nous devons faire preuve de prudence avant de déclarer qu’elle était réellement une messagère de Dieu. Les exemples bibliques montrent que les hommes et les femmes de Dieu n’étaient pas tous parfaits. Hébreux 11 cite des meurtriers (Moïse et David), des hommes ayant fait preuve de désobéissance (Moïse et Samson) et d’autres personnes imparfaites. Rappelons-nous aussi que, dans Le grand Espoir, Ellen White déclara que Wycliffe, Luther, Calvin et Miller étaient des envoyés de Dieu proclamant la vérité et apportant la lumière à une génération qui était dans les ténèbres. Pourtant, leurs actions et leurs écrits ne sont pas tous méritoires ou conformes aux préceptes divins. Hildegarde peut avoir été choisie par Dieu pour susciter certaines réformes dans l’Église.DDP 262.3

    Un autre exemple peut être édifiant. À une époque où Dieu était considéré par de nombreuses personnes comme un tyran jugeant les hommes, l’image d’un Dieu rempli de compassion était réellement une lumière divine. Julienne de Norwich (vers 1342-1422), que l’on peut comparer à Hildegarde, développa également une théologie de la compassion et de l’optimisme. Cette religieuse vivant en recluse enseignait que Dieu était amour et non colère. Luttant contre l’accent mis au Moyen Âge sur la loi, le devoir, la médiation des prêtres et les souffrances - des sujets qui causèrent le désespoir de Luther - elle proclamait que les souffrances n’étaient pas nécessairement un châtiment divin et que les chrétiens pouvaient rechercher Dieu individuellement de façon à être sauvés.DDP 262.4

    «J’ai compris que cette révélation nous encourageait à nous fier à la bonté de Dieu. En même temps, je me suis souvenue des différentes façons dont nous prions et de notre grande agitation quand nous perdons de vue l’amour de Dieu. À cette époque, j’étais persuadée que ce qui plaisait le plus à Dieu étaientles prières que nous lui adressions simplement en nous appuyant sur sa bonté, en comptant sur lui et sur sa grâce et non sur tous les efforts que nous puissions faire. Même lorsque nous agissons ainsi, nous échouons. Tout ce que nous avons à faire, c’est compter sur la bonté de Dieu, car il ne nous abandonne jamais 830Julienne de Norwich, Revelation of Love, ed. John Skinner (New York : Double Day, 1996), p. 11. Voir l’expérience d’Ellen Harmon sur le concept de tyran divin et la façon dont l’amour a changé son expérience chrétienne, White, Testimonies for the Church, vol. 1, pp. 21-34.DDP 263.1

    Pour Julienne de Norwich, les pécheurs doivent apprendre à dépendre de Dieu qui est la source du salut. Elle décrivit aussi Dieu avec des traits féminins afin de mettre l’accent sur son caractère aimant et bienveillant. Cependant, décrire le don de prophétie n’est pas une tâche aisée. Le Christ nous rappelle que ceux qui se réclament du nom du Seigneur ne lui appartiennent pas tous. Parce que la vérité peut être mêlée à l’erreur, nous ne devrions pas nous hâter en déclarant que Julienne de Norwich était une prophétesse ayant des visions venant de Dieu. Contrairement à Hildegarde, il est plus facile de discerner les failles de sa théologie en se basant sur les Écritures. Elle insiste sur ses visions de la Vierge Marie et son rôle de médiatrice entre Jésus et l’humanité 831Julienne de Norwich, p. 8 (par. 4), 39, 40 (par. 18).. Par ailleurs, elle semble comprendre le péché comme une construction humaine (non pas un état, mais une situation de souffrance) 832Ibid, pp. 54, 55 (par. 27). Pages 57 et 58 (par. 29), Julienne de Norwich fait référence au «péché d’Adam» ; page 78 (par. 40), elle parle du processus de contrition pour le péché et des efforts humains pour recevoir l’absolution. À la fin, elle conclut en disant que les efforts humains sont inutiles, puisque Dieu est sans cesse avec les hommes. Elle emploie ensuite le langage relatif à l’enfer et au purgatoire pour dire que le péché produit la souffrance, mais elle termine par cette phrase énigmatique : «L’âme ne connaît pas d’autre enfer que le péché.» (p. 78, par. 40) Elle nie l’existence du péché comme une chose, pages 54 et 55 (par. 27), mais elle semble nier aussi l’existence du purgatoire et de l’enfer (en tant qu’entité). Cela donne une dimension ambiguë à son message., ce qui explique pourquoi certaines personnes la considèrent comme une universaliste.DDP 263.2

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